mai 07, 2014

Avec le chaos climatique… Qui nous nourrira?

Une comparaison entre les systèmes alimentaires industriel et paysan

La face cachée des systèmes alimentaires. Il y a environ cinquante ans, lors du premier Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu en juin 1963, les Nations unies se sont fait dire que « Nous avons les moyens et la capacité d’éradiquer la faim et la pauvreté de la surface de la Terre de notre vivant – tout ce qu’il nous manque, c’est la volonté de le faire. » Depuis lors, cette phrase est devenue le mantra de tous les sommets de l’alimentation. Les gouvernements n’ont toutefois qu’une connaissance très partielle en ce qui concerne l’approvisionnement et la consommation d’aliments. Cette réalité est d’ailleurs apparue horriblement évidente en 2007, alors que les gouvernements n’ont pas été en mesure de reconnaître qu’une crise alimentaire mondiale se dessinait à l’horizon. Cinquante ans après s’être engagés à éliminer la faim, les décideurs politiques ne sont toujours pas en mesure d’expliquer pourquoi les gouvernements n’ont pas les moyens, la capacité ou la volonté de parvenir à cet objectif.

Deux phénomènes participent à notre connaissance lacunaire des systèmes alimentaires. Premièrement, cela fait un demi-siècle que nous sommes bercés par la présomption incontestée selon laquelle le modèle occidental prédominant de production, de transformation et de consommation alimentaire (désigné dans cette affiche par l’expression « système alimentaire industriel ») est incontournable; notre manière de concevoir notre sécurité alimentaire repose presque exclusivement sur cette prémisse. Deuxièmement, nous sommes devenus dépendants des statistiques et des interprétations limitées fournies par l’industrie agroalimentaire. Même si on nous dit qu’il est impossible d’arrêter la marche du système agroalimentaire, de moins en moins d’information est divulguée quant à la réalité des marchés et à la part du marché qu’il occupe. ETC Group a commencé à surveiller les marchés agroalimentaires à la fin des années 1970. Au fil des décennies, les entreprises et les analystes de l’industrie sont devenus de plus en plus cachotiers. Cela est en partie dû au fait que le nombre d’analystes augmente aussi rapidement que l’industrie agroalimentaire se consolide. En conséquence, les décideurs politiques se résignent à voir augmenter la consommation de viande et de produits laitiers et le nombre de cas d’obésité, alors que la dépendance aux fertilisants et aux pesticides devient une réalité immuable. Les désirs des « consommateurs qui payent » sont sanctifiés, alors que les besoins de ceux qui ont faim sont négligés. Nous espérons que cette affiche saura ébranler les croyances populaires entourant le système alimentaire industriel.

Deux solitudes? Tout est-il vraiment « soit tout noir, soit tout blanc »? Les décideurs politiques sont-ils vraiment contraints à ne pouvoir choisir qu’entre deux options : le système alimentaire industriel et le système alimentaire paysan? Pas nécessairement, car les producteurs paysans prennent souvent part à divers degrés aux deux systèmes. Il existe toutefois une distinction claire quant aux prémisses qui motivent ce choix : selon une perspective, seul l’actuel paradigme productiviste occidental – basé sur le règne des multinationales agroalimentaires – est valable. Selon l’autre perspective, les petits producteurs (c.-à-d. les paysans) doivent être au centre de toutes les politiques alimentaires, qu’elles soient d’envergure locale, nationale ou mondiale. C’est sans réserve que cette affiche défend la perspective paysanne.

  

  

Le système alimentaire paysan? Trouvant le terme « paysan » condescendant, voire péjoratif, plusieurs préfèrent plutôt parler d’« agriculteurs » ou de « petits producteurs ». Dans cette affiche, nous utilisons le terme de « paysan » pour décrire tous ceux qui produisent principalement des aliments pour eux-mêmes et leur communauté, peu importe qu’il s’agisse d’agriculteurs ruraux, urbains ou périurbains, de pêcheurs en eaux douces ou salées, de bergers ou encore de chasseurs et de cueilleurs. Plusieurs paysans se retrouvent dans toutes ces catégories. Les petits agriculteurs possèdent souvent des étangs à poisson et des élevages. Souvent, ils chassent et pratiquent la cueillette – particulièrement durant les semaines parfois difficiles qui précèdent les récoltes. Plusieurs paysans vont et viennent entre la ville et la campagne. Lorsque nous parlons du « Réseau », nous faisons référence aux complexes relations de soutien qui s’établissent entre les paysans et leurs communautés. Au contraire, bien que complexe, le système alimentaire industriel, que nous appelons la « Chaîne », se referme sur ses maillons et marginalise la « récolte cachée » qui provient de cueillettes saisonnières en forêts, aux abords des routes ou dans la savane. La richesse de l’agriculture urbaine (cultures, poissons et élevages) est en outre rarement considérée.

La diversité des sources alimentaires paysannes rend les estimations statistiques difficiles. Et pour compliquer davantage les choses, les paysans cultivent environ 7 000 plantes – alors que les gratte-papiers du système alimentaire industriel s’en tiennent à environ 150. Il est difficile de décrire l’univers paysan avec des chiffres précis. Cette affiche présente notre meilleure estimation de la part de l’approvisionnement alimentaire qui provient entre autres des forêts, de la pêche, de la production urbaine, mais il ne s’agit là que de supputations. Nous invitons les autres à nous donner un coup de main dans cet essentiel travail de recherche.

Le Réseau prend toutes les précautions nécessaires pour éviter de gaspiller les aliments ou les ressources nécessaires à leur production. Si quelque chose se « perd », c’est presque exclusivement en raison de problèmes liés à l’entreposage ou au transport – certainement pas par surconsommation, pour des préoccupations d’ordre esthétique ou par négligence. Les aliments détériorés évitent souvent la poubelle pour plutôt servir à nourrir les animaux ou à enrichir les sols. Si seulement c’était également le cas pour la Chaîne!

Le Réseau n’est pas un sobriquet pour désigner l’agroécologie, l’agriculture écologique, la permaculture ou tout autre type de système de production. En matière de fertilisants et de pesticides, les paysans prennent leurs décisions en fonction d’impératifs économiques, environnementaux ou d’accessibilité, et certains d’entre eux se servent de produits agrochimiques pour les cultures qu’ils destinent au commerce alors qu’ils les évitent pour les cultures servant à leur propre consommation. La chose importante à retenir dans tout cela, c’est que la majeure partie de ce que les paysans produisent est « biologique ».

Le système alimentaire industriel? Il est également difficile de déterminer la quantité d’aliments produits – et consommés – dans la Chaîne. On a beaucoup écrit au sujet du gaspillage alimentaire causé par le rejet des fruits et des légumes qui sont imparfaits sur le plan esthétique; par les problèmes reliés au transport sur de longues distances; par la mise aux rebuts d’aliments de bonne qualité par les supermarchés; et celle d’aliments par les consommateurs après qu’ils les ont achetés. Il a été plus facile pour les statisticiens d’estimer le volume, les coûts pour la santé et le manque à gagner découlant de la surconsommation. Le calcul reste difficile à effectuer : sur les 80 % des terres agricoles et des fertilisants dédiés mondialement à l’alimentation des animaux – qui produiront en retour de la viande et des produits laitiers –, quelle fraction est perdue en raison du fait que les aliments qui en découlent s’accumulent sous forme d’excès de graisse lorsque certains consommateurs mangent plusieurs fois la quantité recommandée par les autorités sanitaires? Alors que cette affiche tente de chiffrer ces différentes formes de gaspillage, nous parvenons à la conclusion que la Chaîne ne procure aux gens qu’environ 30 % des aliments qu’ils mangent – et dont ils ont vraiment besoin. En outre, la Chaîne n’arrive pas à rejoindre ceux qui ont faim et ceux qui sont mal nourris.

Cinquante ans après le premier Sommet mondial de l’alimentation, force nous est de reconnaître que les paysans ont la capacité et la volonté de nourrir ceux qui ont faim – il ne leur manque que le moyen de le faire : la souveraineté alimentaire.